Article dans La Croix du 8 mars 2016

Grâce à Fabienne Fichet, 24 garçons, avec de lourds passés familiaux, sont accueillis au foyer des « Galopins de Calcutta » et 14 autres « ex-galopins » restent suivis par l'association.
Claire Lesegretain

Depuis dix-sept ans, cette Normande déterminée consacre sa vie à des jeunes indiens orphelins ou abandonnés, en leur fournissant un foyer et une éducation de qualité.

La bonne fée
des gamins de Calcutta


Fabienne Fichet

Monitrice-éducatrice, fondatrice de l'association « Les Galopins de Calcutta »

Calcutta (Inde)
De notre envoyée spéciale

A

vec sa fine silhouette, drapée d'une tunique en coton, d'un pantalon et d'un foulard assortis, Fabienne Fichet pourrait aisément passer pour une Indienne, ne serait-ce ses yeux bleus. Comme si, à force de vivre au milieu des Indiens, cette célibataire d'à peine 50 ans finissait par leur ressembler. Depuis 1999, Fabienne vit à Calcutta, mais dès 1989, elle avait commencé à découvrir ce pays. « J'étais passionnée par Gandhi et j'avais lu La Cité de la joie », sourit-elle en précisant que ce n'était pas tant la spiritualité ou la culture de l'Inde qui l'attiraient, mais ses pauvres.

Car dès son adolescence « rebelle » – comme elle se décrit elle-même –, Fabienne veut s'engager, se mettre au service d'une cause... Non par conviction religieuse – cette native de l'Orne s'est éloignée de la foi de son enfance –, mais par désir de contribuer concrètement à l'amélioration du monde. C'est ce qu'elle fait depuis dix-sept ans, en permettant à des garçons abandonnés, perdus ou orphelins de Calcutta, d'évoluer dans le cadre stable et familial d'un foyer, de bénéficier d'un suivi scolaire attentif, et d'intégrer, selon leurs capacités, des écoles bengalies ou anglophones qui leur permettront d'envisager l'avenir avec confiance.

Dès son arrivée dans cette mégapole crasseuse et miséreuse, après avoir pris conseil auprès d'associations travaillant pour les gamins des rues, Fabienne Fichet part à leur rencontre dans les bidonvilles et les deux gares de Howrah et de Sealdah : « Je leur promettais un repas s'ils se lavaient » ... Au bout de quelques semaines, quatre garçons de 8 à 12 ans acceptent de s'installer avec elle dans le minuscule appartement qu'elle avait loué. Avec l'aide d'un Indien pour les traductions et d'une Indienne pour la cuisine et le ménage, Fabienne les apprivoise peu à peu. « Les premières années, les fugues étaient fréquentes ; les garçons habitués à la liberté de la rue avaient du mal à accepter les contraintes d'un foyer », raconte-t-elle sans cacher ces échecs. Un an plus tard, le groupe, sous le nom des « Galopins de Calcutta », s'installait dans une maison sur deux niveaux, permettant de séparer les garçons par tranche d'âge.

D'emblée, Fabienne mise sur l'éducation (lire ci-dessous). Après quelques semaines d'alphabétisation, l'enfant est envoyé en immersion dans une école anglophone, souvent dans une classe inférieure à son âge. Après un an ou deux de remise à niveau, il parvient à sauter une classe et même, s'il le peut, à intégrer une « Boarding school » (lycée avec internat) réputée, loin de Calcutta. Fabienne veille aussi, à chaque fois que cela est possible, à maintenir l'enfant en lien avec sa famille, notamment pendant les vacances scolaires.

Depuis une dizaine d'années, le groupe s'est stabilisé. Désormais 24 garçons logent au foyer, et 14 « ex-galopins » sont suivis, qu'ils soient internes ou non. Des garçons hindous, musulmans ou chrétiens – les principales fêtes de chaque confession étant célébrées par tous – qui ont un vécu difficile, avec de lourds problèmes familiaux. Ainsi Sourav, 16 ans, a vu sa mère se faire tuer par son père et a été jeté à la rue par son grand-père avant d'arriver au foyer en 2006.« Une psychologue et un médecin passent ici deux fois par mois pour écouter ceux qui le souhaitent, et tous sont accompagnés au quotidien par trois éducatrices et une coordinatrice, sans parler des trois bénévoles pour l'aide aux devoirs », poursuit Fabienne.

Parallèlement, « Les Galopins de Calcutta », avec l'aide de la famille Fichet en France, développe des activités de collectes de fonds et de parrainages. Pour chaque enfant, entre frais de scolarité, frais de déplacements et salaires des quatre Indiens travaillant à plein-temps pour l'association, il faut trouver « 110 € par mois ». Du coup, depuis 2010, Fabienne Fichet ne passe que cinq mois par an à Calcutta, consacrant les sept mois restants, en France, à des recherches de partenaires. Depuis 2010 également, l'association n'a plus accueilli d'enfants, préférant continuer d'assurer aux 38 jeunes suivis la meilleure éducation possible.
Claire Lesegretain


Son inspiration.

L'ambition de la meilleure éducation

« Peut-être parce que j'ai moi-même arrêté l'école avant le bac, puis repris des études de monitrice-éducatrice à 27 ans, j'ai toujours été attirée par les questions d'éducation. Pour ces enfants de la rue, je ne vise pas seulement les écoles publiques et gratuites de quartier, qui sont en bengali et d'un niveau médiocre, mais plutôt les bonnes écoles anglophones, privées et payantes. Cette année, sur les 38 jeunes de 11 à 25 ans pris en charge par « Les Galopins de Calcutta », 14 sont internes dans des lycées réputés hors de Calcutta, huit sont en études supérieures (dont deux à Bangalore dans l'une des meilleures universités de l'Inde), les autres étant scolarisés ici. Quant à nos deux “anciens” de plus de 25 ans, l'un travaille comme webdesigner à Bangalore, l'autre chez Starbucks à Pune. Leur avenir est assuré ! »

 

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